En 1975, Steve Sasson réalise la première prise de vue numérique de l’histoire de l’humanité. Une révolution dans le monde de l’image. Mais à l’époque, il l’ignore encore.
Génie ou fruit du hasard ? Aujourd’hui, Steve Sasson l’avoue, avec une pointe d’ironie : « Nous ne pouvions pas imaginer ». Et à l’époque, qui aurait pu se douter que le prototype de plusieurs kilos à faible résolution prendrait un jour la place d’un paquet de cigarettes à 12 Mégapixels dans nos poches ?
En 1974, Steve Sasson passe une année à travailler dans le fond du laboratoire Eastman Kodak. A l’heure où le cédérom et l’ordinateur personnel n’existent pas, son projet d’appareil électronique ne fait pas figure de priorité. Une année plus tard, en décembre 1975, « il » est fin prêt. « Il » ? Le premier appareil photo numérique portable. Un amoncèlement de batteries de cadmium de nickel, de circuits numériques, de deux disques durs d’ordinateurs et de transformateurs agrémentés d’une cassette et d’une lentille, récupérée dans une poubelle. L’ensemble pèse 3,9 kilos.
Une assistante de laboratoire se porte volontaire pour le premier essai. Steve Sasson réalise son portrait en noir et blanc. L’image est lue et affichée sur un moniteur de télévision : « nous pouvions voir la silhouette de ses cheveux, mais son visage était caché par le bruit. Elle n’était pas contente de la photo et nous a quitté en disant : il vous reste du travail ». La résolution est très basse : 100 x 100 pixels. En inversant des câbles, l’ingénieur parvient à révéler le visage de la laborantine. Faute de moyens, la photographie n’est pas conservée. Et l’ingénieur en électricité ignore encore qu’il est sur le point de bouleverser la pratique de la photographie.
Avec la prise de nouveaux clichés et leur affichage réussi, de nouvelles questions se posent. D’abord, pourquoi quelqu’un voudrait voir ses photos sur un écran de télévision ? Comment les stocker ? A quoi ressemblerait un album photo numérique ? Steve Sasson l’ignore. Un rapport faisant état de toutes ces nouvelles interrogations est rédigé. La technologie utilisée pour la fabrication du premier appareil photo numérique utilisant un capteur CCD (charge coupleddevice) est brevetée en 1978.
Mais Kodak ne se précipite pas. La compagnie de Rochester s’intéresse d’avantage aux caméras qu’aux appareils photos. Malgré cela, pour les critiques, la découverte de Steve Sasson ouvre une ère nouvelle. Ils font pression sur la firme. Kodak franchit alors le pas en 1995 et décide d’investir principalement dans la photographie numérique. Un choix tardif qui laisse des traces : le chiffre d’affaire de la compagnie dégringole. Sa masse salariale diminue de 60% en quelques années. Il faudra attendre les années 2000 pour que Kodak exploite le filon de la photographie numérique amateur et retrouve un semblant d’équilibre financier.
Depuis l’invention du premier prototype d’appareil photo numérique, les temps ont bien changé. L’ordinateur s’est installé dans tous les foyers en même temps qu’internet ou les imprimantes personnelles. Pour Steve Sasson, « c’est amusant de se rappeler de ce projet et de se rendre compte que nous ne le considérions pas comme le premier appareil photo numérique du monde ». Jamais l’équipe d’ingénieurs « fous » n’aurait pu imaginer que l’encombrant prototype de 4 kilos constituerait une révolution. Jamais elle n’aurait pu se douter de l’impact d’une telle invention.
Le 16 octobre 2007, Steve Sasson a été intégré au Consumer Electric Hall of Fame avec d’autres grands précurseurs industriels : Paul Allen, le co-fondateur de Microsoft et l’équipe d’inventeurs allemands qui a développé le format MP3. Il travaille maintenant à la protection du capital immatériel de son employeur de toujours, Eastman Kodak.
Source : reportagesphotos.fr
